Fondation Francès

Le Monde d’après, Jörg Langhans

Vestige d’un monde perdu ou dernière trace de civilisation, Le Monde d’après de Jörg Langhans dessine un monde sans l’Homme qui, animé par sa présence passée, semble interroger la fragilité de notre existence.

Livres et écorces de bouleaux s’entremêlent et cohabitent, reliés par une tige transperçant et traversant leur cœur. Les angles et points de vue se multiplient, introduisant une profondeur qui invite le spectateur à plonger et se perdre dans l’abysse de ces “peaux arrachées.”

Huile sur toile de presque deux mètres de haut (190x190cm), Le monde d’après s’inscrit dans la série des “Écorces” regroupant un ensemble d’œuvres réalisées entre 2012 et 2016 à partir de l’étude d’écorces de bouleaux récoltées par l’artiste dans les forêts environnantes. L’obsession pour le sujet prend racine vers 2010, lorsque l’artiste redécouvre de manière fortuite les qualités intrinsèques de ces écorces, leur souplesse, leur résistance au temps et leur blancheur irradiante, devenus source d’émerveillement. Il se met alors à les recueillir, les récolter, allant jusqu’à les arracher à l’aide de ses ongles, dénudant le tronc qu’elles habillaient. Suspendus au plafond ou entassés dans un coin de son atelier, les écorces envahissent son espace de travail et deviennent sujet d’une série explorant le potentiel expressif et poétique qui se niche dans leurs nœuds et leurs veines. Dans Le Monde d’après, le végétal flirte avec l’organique. Enveloppe vidée de son contenu, l’écorce s’apparente à une peau, un morceau de chair maltraité, arraché au corps qu’elle couvrait. On y décèle les traits d’un visage, la forme d’une botte, introduisant l’humain dans l’écorce elle-même. Loin d’être une représentation descriptive, la toile invite le spectateur à aller au-delà de la chose représentée, au-delà de l’écorce et de ses qualités formelles.

Que voir derrière ces écorces ? Rien ? Oui, mais pas le néant nous précise Jörg Langhans. “L’écorce dessine précisément le vide laissé par l’absence du cœur de l’arbre”. Coque vide, lambeau de peau, elle est sans cesse renvoyée à l’absence du corps qu’elle enveloppait. Elle en conserve la mémoire et devient signe de sa présence passée. Symbole de vacuité, elle peut être vue comme une forme de vanité, évoquant à la fois le passage du temps, la précarité de la vie et la futilité des passions et activités humaines. L’écorce devient pour Jörg un moyen de parler “de l’anéantissement, l’indifférenciation, le vide et l’oubli”, des désastres de la guerre, hors de “l’avalanche de surfaces vides” et sans dénonciation bien-pensante.1 Signifiant un monde creux, elle permet de traduire l’absurdité et la fragilité de la condition humaine, se donnant à lire comme un “fragment d’humanité” malmené, martyrisé. L’on comprend alors toute l’importance de singulariser chacune d’entre elles dans de grands formats comme Le Monde d’après et dans ce que l’artiste appelle des “fragments”, de plus petits formats, concentrant l’attention sur une ou deux écorces. Présentées sur un fond neutre, ces “peaux arrachées” sont transfigurées, devenant des bouts d’humanité chargés d’intensité et de sens. Au sein de l’exposition-vente “La vie est un entre-deux”, elles se juxtaposent et dialoguent avec les cris sourds émis par les bouches paysage, autres fragments arrachés au corps d’origine, opérant cette fois-ci un mouvement inverse partant de l’humain vers le paysage.

Le Monde d’après et les “fragments” (Écorces Suite II et Bouches Paysages) sont présentées à l’exposition-vente “La vie est un entre-deux”, à la Fondation Francès (Senlis), du 18 septembre au 27 novembre 2021.

 

1 Dans une note d’atelier, l’artiste dit penser à Alep, à la guerre en Syrie quand il peint des écorces.

 

 

Visuels :