Existe-t-il une seule journée dans notre Humanité où nul n’aurait pleuré la mort d’un parent ou d’un enfant tué, égorgé, brûlé, gazé, assassiné ou démembré au nom des religions ou des violences faites aux religions ? Cette journée n’existe pas.
Connaît-on une seule terre qui n’aurait pas été abreuvée du sang des victimes de leur Foi ou de la Foi des autres ? Cette terre est inconnue.
Notre Humanité est jalonnée de guerre de religions. Etrange alchimie qui, parfois, lie ces deux mots.
Religion et guerre n’ont rien à voir ensemble. L’une est tolérante, l’autre destructrice, l’une élève l’âme de l’Homme lorsque l’autre la fait choir dans des tranchées ou sous des décombres. L’une est dans le partage, l’autre dans la destruction.
Les siècles, la connaissance, le progrès, l’information n’ont rien changé : on exécute encore et encore les impies comme les croyants suivant que l’on est fanatique ou dictateur.
Saint-Barthélemy, 11 septembre, Michelade, Nuit de Cristal,… en regardant derrière nous, nous ne voyons que corps jonchés et empilés, que familles décimées, villes dévastées et peuples opprimés au nom d’une religion qui se voulait et se voyait plus forte ou, à l’inverse, au nom d’une politique intolérante envers les Croyants.
Auschwitz-Birkenau, Kigali, Gujerat, Bagdad, Paris, Cajamarca, Alexandrie, Lhassa, Sabra et Chatila, Sétif, Sarajevo, Damas, Bombay, … pas un continent, pas une capitale ne porte pas dans son histoire les stigmates des violences religieuses. On finirait presque par s’habituer. Parce que c’était il y a longtemps, parce que c’est loin, parce que c’est fréquent.
“Pax” est une exposition pour ne pas nous habituer.
Les religions et l’art ont toujours entretenu des relations consanguines. Les artistes y trouvaient des sujets et des subsides, les religions d’inoubliables interprétations et d’incroyables promotions. Mais la religion a censuré l’art comme l’art a fustigé la religion.
Aujourd’hui encore, art et religion s’entrecroisent pour des projets communs et s’opposent pour des visions différentes de nos Vies. Pas moins qu’avant, pas davantage non plus.
Dans un monde qui pourchasse le temps et pourfend l’audace, nous finissons par perdre la mémoire. Dans un monde qui oublie son Histoire, nous finissons par laisser place à ceux qui veulent la réinventer. Jusqu’à nier 6 millions de morts.
“Pax” nous remet en face de ses violences faites au nom des religions et faites aux religions.
“Pax” nous interroge sur ce que nous ne voyons plus et n’entendons plus.
Nos trois religions monothéistes sont faites pour s’entendre, se respecter et s’aimer. Les artistes, aujourd’hui exposés, ne veulent pas de notre indifférence et n’en peuvent plus de nos intolérances. Tout cela les offusque et, en retour, ils nous brusquent, n’évacuant aucun sujet, ne détournant aucun regard.
Lorsque Ronald Ophuis peint et dépeint l’horreur de Birkenau (Auschwitz II), l’Histoire devient face-à-face. Ce qui était tragédie distante devient douleur présente. Ophuis n’est pas là pour nous juger ou nous faire juger, il n’est pas là non plus pour être jugé. Il nous expose une réalité qui est, certes, vive dans nos mémoires… mais c’est aujourd’hui. Cette mémoire doit rester intacte lorsque la dernière personne, à qui un déporté aura parlé, fermera ses yeux. Alors, à cet instant, l’art prendra le relais du témoignage et de la transmission orale. L’art sera à jamais le seul témoin vivant.
Lorsque Kader Attia cisèle l’alphabet arabe comme des dagues et des poignards, il nous interroge sur la portée criminelle de ces mots portés par une ferveur extrême, des versets travestis, réinterprétés et au nom desquels du sang et des larmes sont versés.
Lorsque Mounir Fatmi dispose des livres, tous consacrés au nine eleven, dont les ombres dessinent les buildings du sud Manhattan et au milieu desquels s’imposent deux éditions du Coran dressées comme des tours jumelles, il nous questionne sur les idées que nous répandons et qui finissent par nous revenir comme des boomerangs ou des avions fous.
Lorsque Bettina Rheims et Andres Serrano réinventent la représentation de la Vierge, ils nous réinvitent à la voir comme une icône moderne et absolue. Elle n’est pas que Mère, elle est Femme. Elle est à la fois douleur et maternité, lumineuse et sombre, Vie et deuil, implorée et éplorée.
Lorsque Andres Serrano recouvre de sang la sculpture d’un pape, comment ne pas songer aux guerres passées, aux croisades meurtrières, aux découvertes de peuples nouveaux, victimes des premiers holocaustes au nom d’une Foi qui ne demandait pas cela ?
Lorsque Adel Abdessemed nous montre l’emballage kraft recouvrant une bouteille d’alcool et qu’il y appose « Also sprach Allah » comment ne pas songer à Nietzsche écrivant « Also sprach Zarathustra » ? Pour le philosophe allemand, « Zarathustra a été le premier à voir dans la lutte du bien et du mal la vraie roue motrice du cours des choses. ». Roue devenue dévastatrice lorsque les esprits les plus intolérants en appellent à Dieu pour ramener vers le bien en provoquant le mal.
Lorsque Robert Gligorov nous invite à regarder au-delà de l’envol d’une colombe blanche l’ombre d’un homme crucifié, il nous rappelle que la paix a un prix. Il nous interpelle sur ces religions marquées du sacrifice et du sang, de leurs origines à aujourd’hui.
“Pax” se veut une parenthèse de tolérance, d’ouverture, de modernité.
A ceux qui voudraient voir dans ces œuvres contemporaines, l’expression d’une perte du Sacré, il convient de rappeler que depuis Jérôme Bosch, les artistes éprouvent le besoin d’éclairer les dérives des deux rives,
celles des fondamentalistes et celles des anti-cléricaux.
Les artistes ne sont pas des juges mais des observateurs. Les artistes ont souvent été promis aux foudres du Jugement Dernier, il serait temps d’accueillir leurs regards sur notre époque sans les dénigrer.
Pax veut réveiller nos consciences, remontrer à nos yeux ce que nous connaissons par cœur. Et par les yeux des artistes, réveiller nos cœurs.