Des animaux lequel est le plus enragé ? A bien y réfléchir, c’est certainement celui que l’on dit être le plus civilisé parce qu’il a inventé le feu et se tient debout : l’Homme.
Cette troisième exposition de la Fondation Francès, dont toute la collection est construite autour du thème de l’Homme et ses excès, nous invite à nous interroger sur notre férocité et notre rage d’humains. Il y a pourtant peu d’Hommes dans cette troisième exposition dialogue. Mais tous ces animaux exposés, ces cousins ou frères de l’Homme (singe, ours, cerf, renard, dinosaure, taupe…) nous renvoient à nous, à nos paradoxes et nos errements.
Ghyslain Bertholon, artiste invité de cette troisième exposition dialogue, met en scène des trochées, propositions inversées des trophées de chasse. Là où les hommes fiers de leur victoire sur l’espèce animale exposent des têtes coupées dans leurs salons, Ghyslain Bertholon met en scène des culs poilus de lapins blancs, de lièvre ou de renard. C’est tout autant une opposition corporelle qu’un renversement intellectuel. Là où les trophées figent la mort des animaux, les trochées mettent en scène la vie, la dynamique des animaux. Peut-être sont-il en train de fuir la balle qui les menacent ou bien se rendent-ils avec entrain vers de futurs plaisirs tant leurs postures, étrangement humaines, semblent parfois équivoques ? Ces mises en scène nous amusent, à mi-chemin entre peluche et zoo expérimental mais elles nous interrogent aussi sur nos violences environnantes.
L’une des pièces majeures de cet ensemble prend une résonnance particulière dans la capitale de la vénerie qu’est Senlis. Si la sous-préfecture de l’Oise s’enorgueillit d’être ville royale et d’exhiber une magnifique cathédrale érigée au XIIe siècle, elle est aussi connue des spécialistes pour son Musée de la Vénerie, fondé en 1934. En écho à ce lieu dédié la chasse à courre, la Fondation Francès expose Vanitas, un cerf à la tête retournée. Ses bois infinis lui donne l’allure d’un survivant qui garde en mémoire ceux qui, plus malchanceux, ont croisé sa vie (et ses embranchements) sans pouvoir échapper au massacre.
Comme un glissando mêlant gigantisme et sulfure, Ghyslain Bertholon met en scène le postérieur d’une vache sur lequel est venu se poser une minuscule mouche. Plus impressionnant encore, le jardin de la Fondation accueille une espèce inconnue, le Deupatosaurus, être hybride à tête de 2 cv et au tronc de dinosaure.
La Nature est un thème universel et une preuve supplémentaire nous en est apportée avec cette troisième exposition dialogue où la Fondation Francès a choisi de faire confronter le travail de Ghyslain Bertholon avec 10 œuvres, issues de sa collection, créées par 8 artistes étrangers : Sandy Skoglund, Marnie Weber, Allison Schulnik et Pamela Earnshaw Kelly (Etats-Unis), Claire Morgan (Irlande), Oana Farcas (Roumanie), Pieter Hugo (Afrique du Sud), Rune Olsen (Norvège).
Enragés est un titre qui s’est imposé comme une évidence. Plus encore lorsque nous avons appris qu’il était le nom d’un mouvement contestataire au cours de la Révolution Française. Situés à la gauche des Montagnards, les Enragés ont lutté contre l’hégémonie des hommes d’État jacobins. A l’heure où la démocratie est parfois confisquée par le pouvoir ou tue pour préserver des intérêts économiques et financiers, il convient de ne pas se laisser endormir par le contenu hypodermique des flux médiatiques.
Dans l’exposition “Enragés”, la diversité des media présentés (peinture, photographie, sculpture, installations, vidéo) nous guide vers une même interrogation: pourquoi sommes-nous si enragés ? Pourquoi sommes-nous si prédateurs ? Quand allons-nous redevenir naturellement bons ?