“Trauma” est la quatrième exposition organisée par la Fondation Francès. Elle confronte les œuvres de l’artiste belge Sofie Muller, dont le travail est présenté pour la première fois en France, avec celles de Désirée Dolron, Tracey Emin, Lucian Freud, Douglas Gordon et Jennifer Vasher.
“Trauma” est une exploration au plus profond de nos blessures enfouies, cachées, étouffées. Des blessures qui auraient dû nous détruire et sur lesquelles nous finissons par nous construire. Des blessures qui ne nous apparaissent pas forcément au premier regard mais qui ne se détachent plus de nos yeux lorsque nous nous y attardons. Trauma n’est pas une surenchère de douleurs mais au contraire une succession de souffrances nuancées avec une part de dérision permanente qu’il faut savoir débusquer.
En psychanalyse, le sujet est souvent placé sous hypnose pour révéler ses traumas. Ici, le sujet nous hypnotise car ces souffrances intimes sont universelles. Il n’est pas question de se les approprier mais de les ressentir. Il n’est pas davantage question de juger ou de s’offusquer mais de comprendre. Ces douleurs nous ramènent souvent à une enfance que nous avons quittée mais qui, elle, ne nous a jamais quittés.
Comme nos corps portent des cicatrices, notre mémoire est scarifiée. Accidents, deuils, violences, agressions, séparations, mépris… nous portons tous à notre manière des petits et grands traumas. Nous continuerons de les subir mais il nous appartient de ne plus en infliger. Avec Trauma, l’artiste questionne cet Homme si créatif pour faire le mal. Au point que nous finissions par trouver ce mal normal. Il se banalise, s’aseptise. Le talent des artistes est de le traquer, de nous interpeller. Et de nous en délivrer une vision finalement positive puisqu’ils l’ont domestiqué et transcendé. Ils en ont fait le socle de leur travail. Le trauma subi devient une œuvre maîtrisée.
Les traumas finissent toujours par remonter à la surface et nous nous y accrochons comme des naufragés. Ils nous affaiblissent autant qu’ils nous donnent un supplément de force. Dans cette exposition, pas question de descentes aux enfers sans sursauts ni courage. Pas de surenchères non plus, on n’en est plus là. L’intérêt est ailleurs : comment faire du négatif du positif ? Comment renverser le cours d’une histoire et faire gagner la vie ? La douleur est souvent l’auxiliaire de la création.
Chez Sofie Muller, le trauma prend souvent le visage ou le corps d’un enfant, au départ émouvant, à la fin bouleversant. Entre les deux, il y a la découverte de détails infimes et intimes. Chez Désirée Dolron et Douglas Gordon, le trauma n’est pas seulement dans ces yeux absents. Chez l’une, la cécité n’est pas une absence, juste une autre vision. Chez l’autre, la cécité est un artifice, une déchirure qui nous interroge sur nos mythes bien artificiels. Chez Jennifer Vasher, le trauma devient amusement puis réflexion sur ‘notre vie médicamentée’. Chez Tracey Emin, le trauma est un cri, une composition arrangée pour nous déranger. Pour ne jamais oublier cette première féminité violée, bafouée. Chez Lucian Freud, enfin, le trauma est un mot familier avec un père comme le sien. Il prend la forme d’un corps insoumis, affranchi des règles académiques et plus encore rétif aux principes de bienséance. Chez chacun, la noirceur n’est pas de mise. Il y a une révolte, une envie farouche de se battre. Dans chaque œuvre, il y a un encouragement à entendre.
“Trauma” n’est pas pour tout le monde, elle est pour chacun. Nous y retrouvons tous un fragment de nos vies. Plus il a été émietté, plus sa quête devient salutaire. Il ne faut jamais craindre de se retrouver face à soi. L’adversaire sera à la hauteur. Il ne faut ni le surestimer, ni le dévaluer. Avoir peur de soi est la pire des peurs. Savoir s’affronter et s’assumer ne sont jamais des victoires anodines. Finalement, les seules qui comptent.
“Trauma” n’est pas répulsif. Cette exposition nous donne l’envie de nous poser, de ne plus composer et de dialoguer sans tricher. Le silence est fait pour être rompu comme les traumas sont voués à être expulsés, explosés. Et aujourd’hui exposés.
Si Picasso prétendait que « tout acte de création est un acte destruction », “Trauma” nous prouve avec force que tout acte de destruction peut devenir un acte de création.